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Trajectoires de santé mentale en prison : ruptures et continuités biographiques
Camille Lancelevee  1@  
1 : Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux  (IRIS)  -  Site web
Inserm : U997, École des Hautes Études en Sciences Sociales [EHESS], Université Paris XIII - Paris Nord, CNRS : UMR8156
Paris -  France

La question de la santé mentale en milieu carcéral a fait l'objet d'un nombre de travaux, d'articles et de rapports. Toutefois, la santé mentale n'y est jamais analysée du point de vue des personnes détenues. Inscrite dans la continuité de ma thèse de doctorat, cette communication proposera d'éclairer la diversité des « trajectoires» (Strauss, 1992) des personnes détenues et la place qu'occupent soin psychiatrique et suivi psycho-criminologique dans ces trajectoires. Ma communication s'appuiera sur l'analyse de cinquante entretiens biographiques d'une durée moyenne de 65 minutes, réalisés à l'automne 2017 avec des hommes (n=28) et des femmes (n=22), détenus dans différents établissements pénitentiaires. La communication analysera ces entretiens à partir du concept de « trajectoire », qui permet d'étudier trois dimensions selon Anselm Strauss : la gestion de la maladie elle-même, la gestion de la vie quotidienne au-delà de la maladie, et enfin un travail biographique, c'est-à-dire la gestion du rapport à soi.

On montrera ainsi que le recours ou, au contraire, le non-recours aux ressources institutionnelles s'inscrit dans des stratégies : l'offre en santé mentale peut permettre d'améliorer le cadre de vie carcéral, d'échapper à des relations nuisibles ou à l'ennui du temps vide. Les relations avec les professionnels en santé mentale peuvent au contraire être redoutées pour leur caractère stigmatisant – ne pas être perçu comme un « tox », un « zombie », un « fou » ou encore un « pointeur » dans un univers qui fait de la virilité une référence normative centrale mais toujours menacée (Bessin, Lechien, 2002).

Par ailleurs, l'incarcération introduit une rupture tant spatiale que temporelle dans la vie des personnes détenues (Chantraine, 2004) ; étudier les trajectoires de personnes détenues présentant des troubles mentaux permettra ainsi de creuser l'hypothèse avancée par Loïc Wacquant (2009) d'un transfert de ressources qui permettrait de facto aux groupes les plus visés par les politiques pénales, à savoir les segments les plus pauvres de la population de trouver dans les institutions de l'Etat pénal, les services sociaux et soins démantelés dans le reste de la société.

Enfin, la rencontre avec les professionnel.le.s en santé mentale peut contribuer à modifier le rapport à soi-même : concrètement, elle peut apporter de nouvelles opportunités, modifier les comportements, les choix, les manières d'être mais également l'identité de soi. Il s'agira ici de réfléchir aux opérations effectuées par les personnes détenues pour affirmer, élaborer, conquérir l'expérience propre de leurs troubles mentaux.

Travaux cités :

  • Wacquant Loïc. 2009. Punishing the Poor: The Neoliberal Government of Social Insecurity. Duke University Press.
  • Strauss Anselm L., 1992. La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme. Paris : Éditions l'Harmattan.
  • Lancelevée Camille, 2016. Quand la prison prend soin. Pratiques professionnelles de santé mentale en milieu carcéral en France et en Allemagne. Thèse de doctorat, EHESS.
  • Chantraine Gilles, 2004. Par-delà les murs: expériences et trajectoires en maison d'arrêt. Paris: PUF-Le Monde.
  • Bessin Marc, Lechien Marie-Hélène, 2002. « Hommes détenus et femmes soignantes: l'intimité des soins en prison ». Ethnologie Française XXXII (1): 69‑80.

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